Escapade à Chamonix


J’aimerais vous raconter un voyage. Un Voyage, même, comme m’a dit un jour un très bon ami ; celui avec la majuscule, celui qui reste en mémoire longtemps après le retour à la maison.

Ce Voyage, donc, commence sur le parking du GUCEM, un samedi de juin à l’aube. Un soleil prometteur nous accompagne sur la route sinueuse de Chamonix, puis se cache à notre arrivée. Le ciel est désormais gris, un gris étrange rempli de sable qui donne aux sommets un air irréel. À l’arrivée du téléphérique, notre guide Guillaume nous entraîne à l’écart de la foule de touristes pour nous présenter les géants aux noms mythiques qui nous dévisagent : l’Aiguille du Midi, le Mont Blanc, le Mont Maudit, le Dôme du Goûter. Combien de petits humains comme nous se sont aventurés sur leurs pentes, heurtés à leurs caprices, émerveillés devant leur majesté…

Les Aiguilles de Chamonix sous une brume étrange

Guillaume nous raconte des histoires d’alpinisme, les célèbres et les siennes. Il évoque Balmat, Paccard et Saussure, les premiers à explorer le Mont Blanc. Il raconte sa traversée du Couloir de la Mort, ponctuée de chutes de pierres. Justement, une petite détonation retentit, et une coulée blanche dévale l’aiguille. Mes yeux s’ouvrent grand. C’est une belle introduction ; à plusieurs reprises dans la journée, Guillaume nous parle du changement climatique et des bouleversements que subit la montagne. Elle craque, elle croule ; son ciment était le froid.

Nos pas nous emmènent au bord du Lac Bleu, puis le long du Grand Balcon Nord. Le groupe apprend à se connaître et révèle ses surprises ; aux côtés de Guillaume, nous découvrons le génie d’Abdennour dans l’organisation de randonnées gastronomiques, la passion de Jason pour les granites, micaschistes, feldspaths et quartz, et son talent, partagé avec Hippolyte, pour les photos. Puis une autre surprise s’offre à nous : un lagopède mi-blanc mi-brun, en plein changement de couleurs, se pose à quelques dizaines de mètres de nous. Je découvre avec amusement son cri proche du rot. En contrebas, une marmotte pose telle un sphinx, comme si les photos récurrentes des visiteurs lui avaient appris à se dévoiler sous son meilleur jour.

Arrive l’heure de la pause déjeuner. C’est un moment où l’on apprend à connaître la personnalité profonde de chacun, dévoilée par le style de pique-nique. Il y a les voraces au sandwich plus long que leur bras. Il y a les prévoyants avec leur tup’ et leur pain à la courgette fait maison. Il y a les amoureux de saucisson et les végétariens qui n’y résistent pas. Il y a les paresseux qui empilent deux tranches de pain de mie et une de jambon. Et il y a surtout une joie de partager ce moment, de contempler les sommets, de rire malgré ou avec le temps qui se gâte.

Le vent forcit, on repart courbé en deux pour s’y soustraire. Ma cape de pluie ne m’aide guère ; une personne mal intentionnée me suggère d’essayer le wingsuit. Nous arrivons malgré tout au belvédère de la Mer de Glace, un nom ironique désormais à la vue de cette pauvre langue noircie par les chutes des moraines. Guillaume nous montre des photos d’il y a un siècle : la glace arrivait alors à la hauteur du refuge du Montenvers et se plissait comme une infinité de vagues figées en plein déferlement. Il ne reste aujourd’hui plus qu’un grand vide inquiétant à nos pieds, et un front de glacier toujours plus éloigné. Mon regard se console sur le Dru qui nous fait face, immense, acéré. Et pourtant lui aussi est marqué par le changement, incarné par la cicatrice inhabituellement claire de ce qui était autrefois le pilier Bonatti.

Le ruisseau de glace

Photo de groupe au pied du Dru

Le sommet du Dru et la marque du pilier disparu

Le petit train rouge nous ramène à Chamonix. De retour au refuge, Abdennour nous guide dans la préparation d’un poke bowl de luxe. Le surplus de riz n’effraie personne, et même les hérésies à base de ketchup ne parviennent pas à couper l’appétit au groupe. Les conversations durent encore un peu, puis la fatigue l’emporte et l’on s’endort, en espérant que personne n’ait menti en affirmant ne pas ronfler.

Le train à crémaillère du Montenvers

Je me réveille tôt, et je sors sur la pointe des pieds admirer cette beauté qui m’appelle. La brume s’étire entre les épicéas, les cascades chantent. Le matin est timide et lumineux, comme une merveille qui hésite à se révéler. Je n’ai jamais tant aimé la montagne qu’à l’aube.

Après un petit-déjeuner copieux, nous partons arpenter le massif des Aiguilles Rouges. Une ascension longue et régulière nous mène au lac des Chéserys, où nous attendent quelques bouquetins. Guillaume nous demande pourquoi les pierres sous nos pieds sont si planes. Certains d’entre nous imaginent que c’est à cause du passage humain répété. Il nous révèle plus tard que c’est dû au glissement des glaciers, à l’époque lointaine où tout le massif et même la vallée en étaient recouverts ; leur poids a poli la roche tel un papier de verre. C’est aussi ce glissement qui a charrié d’énormes blocs de pierre tombés des sommets, que l’on retrouve parfois des centaines de mètres en contrebas, incongrus et mystérieux.

Dernier cadeau : un bouquetin devant le glacier d’Argentière, tout juste émergé des nuages

La journée se termine avec un café au Col des Montets et un temps de partage dans la moraine d’Argentière. Je repasse dans mon esprit les images des derniers jours et un mot s’y associe : merci. Une part de moi est inquiète pour cette montagne vulnérable, fragile, qui s’est offerte à nos yeux. Mais une autre relativise : les Alpes se sont formées il y a plus de trente millions d’années, et n’ont cessé d’évoluer depuis. À une telle échelle, que représentent la fonte des glaciers et les éboulements répétés ? À peine un petit sursaut dans une histoire entamée bien avant nous et qui, je l’espère, se poursuivra bien après nous…

Marie.

© Jason et Hippolyte pour les photos.

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