WE pseudo raid raide (13, 14 et 15 mars)


J-1.

On est jeudi, en fin d’après-midi, l’Italie est déjà sous quarantaine.
Je suis triste comme un caillou. Je pense à mon Week-end au Grand Paradis qui s’envole. J’ai boudé toute la journée. J’appréhende aussi l’allocution de ce soir, qui décidera probablement de ce que nous ferons. Je dialogue avec Sylvain Maurin par message, et on pense à changer de plan pour le lendemain.
Je passe à la perm’, je tire une tête de trois pieds de long. Pas très vivante ce soir. Je ne pense qu’à cette fin de saison qui s’annonce plus courte que prévue.
Je ressasse aussi la mise sous tension tout autour de nous. Ma mère (infirmière) a été rappelée aux soins intensifs, les respirateurs sont remontés aussi des services de chirurgie.
L’allocution arrive. On peut partir. Mais on change de plan quand même : on va éviter les espaces confinés et, au lieu de partir faire un raid en Vanoise avec nuits en refuge (objectifs Grande Casse et Rechasse), on fera des sorties à la journée.

On commence une discussion de groupe tous ensemble (Alberto, Lionel, Anthony, Franck, Nolwenn), histoire de partager le programme et de rassembler les envies et les attentes. Une âpre négociation s’engage. Le grand Colon a été trop visité, alors on change d’objectif : potentiellement aller chercher des couloirs à l’Alpe d’Huez. Rendez-vous 6:45 devant la perm’. Sauf pour Alberto. Pour lui c’est 6:30.

J1.

On récupère tout le monde, on embarque baudards et crampons et on rejoint Sylvain et Franck à Séchilienne. Finalement ce sera la tête de la Grissonnière (Taillefer). On est encore tout hébété par la soirée de la veille et les changements de plans, mais on s’adapte. On remonte la piste en minibus en suivant Sylvain dans le brouillard. Enfin, tant qu’on peut : il fini par nous semer avec sa voiture de rallye quand la neige se fait trop insistante.

Au cours de la rando, nous sommes seuls. On en profite. On passe sur les myrtilliers à ski, et plus tard au dessus de la mer de nuages. On flotte tous un peu. Sur la fin, un peu plus raide, on est plus sur nos gardes, mais on atteint le sommet sans encombres, juste à temps pour le pique-nique. On profite de la cime pour prendre des couleurs. On profite du grand air. On profite du panorama. On profite d’être ensemble. Et puis surtout, on profite de la descente ! Moquette à poils longs, impeccable à skier. On arrive presque au minibus en ski. On range le matos en discutant un peu le programme du lendemain : couloir des Deux Sœurs, 4.2, expo. Ça envoie.

J2.

On part pour le couloir des deux soeurs, on se rejoint devant la boulangerie de Vif. On attend Sylvain. Ça laisse gentiment le temps à Franck de remettre en place la portière fraîchement tordue de Nolwenn à coup de genou sous nos rires surpris, et au reste d’entre nous de guetter l’ouverture de la boulangerie et choper un pique-nique. Ou un p’tit déj, il fait tôt quand même. On part vers le couloir des Deux Sœurs (Vercors), avec crampons piolet, je suis hyper excitée par cette première pente raide.

Sur le parking, il y a un mec avec nous qui nous regarde enfiler nos baudriers en nous demandant si on va grimper. Il part vite, il est rapide, le bougre. Et sa tête me dit vaguement quelque chose.
On installe nos skis sur le dos et on remonte les pistes, on finit par trouver le front de neige en haut du télésiège. On remonte facilement jusqu’au pied des falaises, on avise le couloir.

On peut voir la descente de celui qui était parti comme une flèche.
C’est raide quand même. Et puis il y a les barres rocheuses juste en dessous. J’appréhende, alors que je chausse mes crampons, que j’empoigne mon piolet et que j’emboîte le pas, mettant résolument mes pieds dans les traces de mes prédécesseurs. Finalement, une fois qu’on est dedans, ça passe crème. On double Sylvain, qui enfonce un piton dans le rocher. On se rejoint tous au col, on prend le temps de manger et quelques photos au passage. Franck, dont la fixation est cassée, tente de la faire tenir par un bout de fil de fer et un cailloux*. Ça tiendra suffisamment, mais il ne faut pas forcer dessus. Mais maintenant, il faut descendre. On chausse les skis, on avise la pente, toujours aussi raide. On fait un virage.

Sylvain sort sa Radline et installe l’Escaper, cet outil passe partout qui ressemble vaguement à un machard et qu’on peut récupérer après un passage scabreux. Passage que nous passons en dérapant et en se tenant à la corde. C’est pas tant pour la peur qu’au cas où on se casse la gueule… Ben il reste les barres, quoi !
Au final on en sort bien vite, et on profite de quelques virages dans la neige de printemps avant de se retrouver au col (de l’Arzelier) et de profiter du plein air autour d’un verre.

Le soir.

Breaking news apportée par Nolwenn : le mec du col, c’était JulBont ! JulBont ? Mais si, JulBont, star des réseaux sociaux de montagne, skitour et C2C ! Ca fait doucement rigoler Sylvain et ses trentes ans de métier. Je demande à Lionel, avec qui on a fait Pravouta en before work il y a une dizaine de jour : ce serait pas le mec qui a fait le couloir de la dent de Crolles et qu’on a croisé au parking ? Bah si. J’me disait bien que ça tête était pas complètement inconnue.
Et puis les premières directives tombent. Annulation de pas mal de sorties. La nôtre est maintenue, à condition de respecter scrupuleusement des mesures drastiques concernant les gestes barrières, de nettoyer le volant et le levier de vitesse du minibus, de ne pas s’échanger d’eau ou de godet, de ne pas prendre un verre en fin de sortie. De toutes façons, les bars ferment. Le blues de jeudi revient.

J3.

Alberto est en retard. On n’aurait pas dû lui donner la même heure qu’aux autres…
Pour cette dernière sortie club de la saison, il n’était pas possible de ne pas refaire une dernière fois la Crête de Brouffier ! Vous pensez que je plaisante ? Que nenni ! Nous voici partis pour le parking de la Morte, au pylône de la route du Poursolet. On remonte tranquillement jusqu’à la croupe, on s’arrête pour manger trois graines, et on avise. Alors, on prend le couloir qui monte jusqu’à la croix du Sergent Pinelli ou on passe par le pas de la Mine ? On prend le couloir. On se fera moins chier. Et puis l’arrête a l’air jolie.

On chausse les crampons, on prend le piolet en main, et on repart d’un bon train. Vous pensiez vraiment qu’on allait redescendre par la crête ? Franck et Sylvain avaient fait une navette exprès pour nous, pour que l’on puisse faire cette traversée du Taillefer.

On arrive là haut, et on profite du panorama splendide sur le Taillefer et Belledonne. On garde les skis sur le dos, et on poursuit : direction le Taillefer. On arrive, on profite de tout, le beau temps, la belle vue, la bonne compagnie, la bonne humeur, le bon anniversaire d’Alberto ! On vit pleinement ce dernier sommet, et on repart.

On chausse les skis et on plonge de l’autre côté, direction la combe des Ramays. On commence la descente peut-être un poil tard : il y a du sluff. On applique la distanciation sociale, qui a, tout compte fait, plus d’une vertue, et on entame la descente, en avisant un chamois bien preste du coin de l’œil. On arrive en bas presque trop tôt, après avoir fait chauffer les cuisses comme il se doit dans des restes de coulées.
Quand on arrive à la voiture, il faut attendre la navette. Parce que si la navette fut faite, Sylvain a laissé ses clefs dans la voiture de Franck ! On est quitte pour une séance de bronzage impromptue. On en profite dûment.

On est bien en montagne.

Épilogue.

Avec le confinement, il est venu le temps des annulations. Annulation d’une sortie ski avec Sylvain Maurin pour le club, annulation d’une sortie perso avec des amis du club au Grand Paradis, annulation des autres sorties prévues avec le club dans toutes les commissions, jusqu’à nouvel ordre.
La fin de la saison de ski.
On aurait voulu vous emmener faire du ski de printemps, ces sorties qui commencent tôt et se terminent en terrasse, au soleil, une bière à la main et des images plein la tête.
On aurait voulu vous montrer le Pic de la Belle Etoile, la Dent du Pra, le Rocher Blanc et tant d’autres.
On aurait voulu vous montrer les Écrins et le Thabor en raid, et pourquoi pas une traversée de Belledonne.
On aurait voulu vous emmener faire un week-end ski-escalade.
On aurait voulu vous emmener manger une fondue en cabane.
On aurait voulu tirer la saison jusqu’au bout, jusqu’à ce qu’on ait trop porté nos planches pour trop peu de glisse, pour une neige trop absente, trop mauvaise, en rire autour d’un verre de trop avant enfin, de passer à l’alpi, à l’escalade, à la spéléo, au canyon et à la rando.
J’en ai le cœur lourd, pour tout ce que je ne pourrai pas faire en cette fin de saison, tout ce que je ne pourrai pas vous montrer, tout ce qu’on n’aura pas partagé.
Mais la montagne sera là demain, et son virus survivra au CoVid19.
Nous, on garde le plein d’idées, le plein d’envies, et on vous emmènera dès la saison prochaine faire le plein de neige !
En attendant, prenez soin de vous et de vos proches, préparez de beaux projets, affûtez vos carres et fartez vos semelles ! Je touche du bois pour que cet été, nous poussions retourner en montagne, avec des projets moins frileux, et quand le temps sera venu, nous ressortirons nos planches rangées trop tôt.
Et qui sait, peut-être qu’au sortir du déconfinement il restera de la neige pour une dernière sortie sans nous laisser déconfits.

* Moi, j’aurais sorti un morceau de chambre à air, mais bon, c’est limité comme rigidité…

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