Il était une fois un projet, un serpent de mer, une antienne*, qui revenait chaque année, impulsé par un moniteur guide, qu’on surnommera Idéfix (!!), qui croyait dur comme fer à ce projet, et qui le défendit 10 ans durant avant qu’il se réalise, enfin !!!!
Quel projet ? Pour qui ?
Le projet est de faire un séjour de TRAD au Peak District avec les adhérents du Grenoble Université Club Escalade Montagne. Club affilié au Club Alpin, qui fut créé par Jean Claude Salomon, en 1989, professeur alors à la Faculté de Grenoble en STAPS, guide de haute montagne et responsable de la section escalade. Je fis mon stage en tant que BE Escalade en 1990, et depuis y développe chaque année des cycles d’activités, TRAD, Artif, Alpinisme, Cascade, Ski de randonnée. Le principe est simple, je propose des cycles de formation sur les thématiques précitées qui finissent tous par un ou des stages qui marquent par leur ampleur et matérialisent les progrès réalisés.
Pour clôturer le TRAD nous allons toujours au Verdon, mais depuis quelques années, je promeus également le Peak District, paradis de l’escalade sur coinceur ! Depuis un voyage perso réalisé l’été 2013, chaque année j’essayais de créer une dynamique autour de ce projet et une équipe. Dès les premières sorties de trad autour de Grenoble, à l’automne, nous teasions le projet le club, par le biais du responsable de commission et moi-même. Alors lointain, quelque peu brumeux, nos participants faisaient montre d’enthousiasme. Puis la date se rapprochant, moins de monde ! Qui veut aller grimper en Angleterre, sur des cailloux de 25 m de haut maximum, alors que le Mont Blanc s’étale de tout son long à seulement 2h de route du campus………
Ainsi, 2014, pas assez de monde, 2015, presque !!! puis non, 2016 maladie pour moi, 2017 encore maladie…, 2018 flottement au club qui ne suit pas, 2019, presque ! 2020 sortie de Covid, 2021 plein !!! deux groupes, deux pros !!! Dément !!! Puis l’Angleterre ferme ses frontières, trop de covid…direction Caroux, 2022 blessure en saison d’hiver tibia péroné… et 2023 ça marche !!!!
Un minibus, 6 participants et moi-même partons affronter le Grit du Peak du 9 au 16 juillet !
Situé juste à côté de Sheffield, il nous faut une grande journée de route avec un passage par le tunnel du Shuttle pour arriver sur place.
Le but est de découvrir ces spots qui ont fait une partie de l’histoire de l’escalade libre, de découvrir l’escalade anglaise, de découvrir le grit et son adhérence fabuleuse ! Le but également est de développer son expertise dans l’escalade sur coinceur. Cette escalade de fait développe une triple expertise :
- Expertise de la pose elle-même, c’est-à-dire être sûr que son friend ou cablé tienne ! Au cours des 7 jours de grimpe, dans tout types de fissures, émaillés de quelques chutes qui ont éprouvé nos « amis » et le mental des grimpeurs, cette expertise s’est vraiment développée.
Il faut également poser les relais sommitaux, pour que l’on puisse recycler les longueurs, ce qui demande parfois un vrai travail d’orfèvre !!! Trois quatre friends et cablés triangulés entre différentes fissures gréseuses humides !
- Expertise quant à l’emplacement ; éviter les chutes au sol, sur vire, tout en acceptant forcément quelques run out* par ci par là (ils sont inhérents et font corps à cette pratique).
- Expertise de motricité !!! La plus essentielle à développer !!! Poser des friends et autre cablés c’est de l’artisanat ; il est au service de l’Art qui est Grimper ! La marge de progression pour poser correctement un friend est faible, on prend vite le coup. Grimper et progresser dans sa grimpe c’est le parcours d’une vie ! Aussi chaque coinceur renvoie un coincement potentiel pour les pieds puis les mains (l’escalade étant la propulsion du bassin repris par les membres supérieurs plutôt que la traction du bassin suivi par les membres inférieurs !!!) ! Ainsi la pose d’un friend rouge ou jaune, renvoi à un possible coincement de pied classique et à un bon coincement de main, « handjam ». En revanche la pose d’un friend n°6 dans un support déversant renvoie à des coincements torrides des jambes suivis de coincements tout aussi torrides des bras, coudes, épaules, bref renvoie à un combat de rue, une offwith quoi !
Tout cela dans un cadre idyllique, avec des températures de 20 degrés grand maximum ! L’engagement est ici 100% subjectif, dès que l’on décolle le deuxième pied du sol, et que sa main magnésiée et gantée vient se coincer dans la première faille verticale, c’est partie pour une escalade entière et totale. L’instant présent enveloppe le grimpeur tout entier, il est dans sa situation et son adversité choisie est en train de lui donner accès à sa vraie liberté !!! (la grimpe c’est aussi de la philo en action !) Au sol, nous encourageons, contemplons, tremblons et sommes irrigués par cette joie communicative.
Un peu fébrile aussi, car c’est comme d’habitude, chacun son tour ! Ces escalades et ces passeports pour toute cette émotion, ne s’accède qu’après 20 minutes maximum de marche au milieu des fougères géantes, des moutons qui apparaissent d’un coup, et d’un horizon large et grand, la magnifique campagne anglaise du parc national du Peak District, qui a inspiré le peintre Turner et ses disciples.
Le programme était de visiter 5 sites différents et de revenir à deux d’entre eux qui auraient le plus séduit l’équipe ; le site de Stanage à quelques centaines de longueurs entre le 2 et le 7a aussi revenir n’était pas un problème…
Le plus connu est assurément STANAGE. Placé sur une ligne de crête, cette échine rocheuse comporte des centaines de longueurs de 6 à 25 mètres, d’un niveau moyen de 4c (Very Difficult) à 6c ( E4 6A), toutes tentantes. Après 10 à 20 minutes max de marche vous vous retrouvez au pied d’un magasin de jouet : en effet chaque ligne est tentante, par ses formes, par les fissures qu’elle comporte. Le cadre y est magnifique, on domine la campagne anglaise et son bocage étendue sous nos pieds. Nous y avons passée deux journées épiques avec des météos capricieuses ! Mais l’avantage du Grit c’est qu’un coup de vent, et il sèche en deux secondes ! Lorsqu’il se met à pleuvoir, regardez les grimpeurs autour de vous, ils ne bronchent pas et continuent, flegmatiques, à grimper.
Ensuite nous avons visité également deux fois, les superbes carrières de MILSTONE, qui comportent quelques-unes des plus belles pages de l’histoire de la grimpe anglaise. London Wall 7a/+ (E5 6A) qui fut libérée par John Allen en 1975 puis également réalisé par Jean Claude Droyer, et Master’s Edge libéré par Ron Fawcett en 1983 ; cet E7 6C, 7b+, est quasiment du solo…On cherche au pied désespérément ou on va pouvoir se protéger ; à vue ! à quelques 6 mètres du sol ! mais le crux est à 13m…No comment !!! Nous ferons nos gammes dans THE MALL dièdre majeur à gauche de London Wall en 5, GREAT PORTLAND STREET et BOND STREET des 5+ épicés à base de verrous de mains de doigts ou les Friends font merveille !
Le grès y est très rouge, posé au milieu des bruyères en fleurs l’endroit est encore une fois magnifique ; compter au moins 10 bonnes minutes de marche !
De l’autre côté de la route une autre carrière est posée dans un écrin de mousse et de boulots, LAURENCEFIELD. Un petit secteur au-dessus d’une mare, toujours dans un endroit magique avec un jolie choix de voies de 3 à 6c dans un endroit très concentré.
Nous avons passé une superbe journée sur le bloc incroyable de HIGGAR TOR qui a une face déversante avec au milieu THE RASP un 6b/+ (E2 5B) incroyable. Nous avons parcouru jusqu’à 7A tous les itinéraires de ce bloc de 20 mètres de haut isolé sur sa crète entre Stanage et Burbage dominant encore une fois un paysage aux horizons ouverts et inspirants…Vent, fraicheur, 15°, 20° maxi isolement, ambiance, ont fait de cette journée de grimpe un moment incroyable. Chaque cordée avait son projet et jusqu’à sa réalisation, l’a essayé, encouragé par tous. Isolés et unis notre groupe profitait de ce moment le 12 juillet ; à ce même moment il faisait 43 degrés à Grenoble !
Et enfin nous sommes allés à CURBAR autre base du Peak. Le top 50 ELDER CRACK 6A+/B (E2 5B) que nous ferons et qui est évident remontant une belle fissure dièdre de 25mètres borde sur sa gauche l’abomifreuse dalle de HEAVEN’S DOOR en E9 6C/ 8A ultra BOLD, qui veut dire engagée, audacieux, inconscient, protégée loin en bas par de petites protections…En effet le Peak est souvent décrit lors du passage obligé de tout fort grimpeur qui se respecte dans des horreurs qui relèvent souvent du High Ball ou du solo encordé… L’intérêt pour la grimpe à vue, fluide, est plutôt de 2 à 7B max. Après, cela est complexe à protéger et nécessite un vrai travail de reconnaissance et de calage. Le jeu y est poussé très loin ici, par le fait que c’est l’unique terrain de pratique et qu’il est exploité jusqu’au dernier mètre avec toujours l’éthique des protections naturelles. Cela devient parfois très conceptuel, notamment dans le haut niveau. Pour nous encore une superbe journée, tant la quantité et la qualité des voies entre le 4+ et le 6c sont importantes.
Notre camp de base était le camping NORTH LEES CAMP SITE qui est sur de belles pelouses anglaises. Il y a également quelques roulottes type mobilhome. Ce camping est à 4 minutes de Stanage, Higgar Tor, Burbage ; 4 minutes également de Haterstage, petit Chamonix local. Allez au café OUTSIDE à l’étage du magasin de sport climbing, vous y découvrirez une galerie de photos de tout ce qui a fait l’histoire de l’alpinisme et de l’escalade anglaise, ainsi que quelques visiteurs prestigieux qui ont signé leurs photos, comme Ondra ou Honnold en visite au pays du Grès.
En résumé, cette destination est idéale pour tous ceux qui veulent gouter à un vrai exotisme pas loin de chez nous et en même temps si loin de nous !!!
Go to ENGLAND !!!
SYLVAIN MAURIN.